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Le journal d'Ukraine
17 octobre 2006

droit d'asile

L’Ukraine, laboratoire européen à refouler les migrants ?

Enquête . L’UE a pris des dispositions vis-à-vis de Kiev, qui font craindre un torpillage définitif du droit d’asile pour consolider l’Europe forteresse.

uk

Parvenue jusqu’en Autriche en juin 2006, Tomara, une réfugiée tchétchène de trente ans, se sent désormais « en sécurité ». Mais elle est sans papiers. Prudente, elle a laissé son passeport à Volodymir son avocat en Ukraine avant de franchir la frontière européenne. En cas de refoulement, ce dernier l’aurait signalé au HCR qui aurait empêché sa déportation vers la Russie. « Il existe un accord officieux entre les services de sécurité ukrainiens et russes concernant les Tchétchènes, confie le juriste, ici leurs déportations peuvent se faire en 1 jour ! » Tomara était demandeuse d’asile en Ukraine. Mais l’hostilité traditionnelle envers les Caucasiens et la peur de la déportation l’ont dissuadée d’attendre sa réponse.

Signataire de la convention de Genève depuis 1996, l’Ukraine reconnaît, par an, à peine 1 % des candidats à l’asile. En cause ? Une définition du réfugié très restrictive et l’existence d’une officieuse et négative politique des services de l’immigration, notoirement sous qualifiés et sous-financés. « Une procédure d’asile peut durer deux ans, trois ans », explique Nadejda, membre de NEEKA (1). « Entre-temps, les candidats à l’asile ne reçoivent pas d’indemnités et n’ont pas le droit de travailler. Nous, ONG, les aidons, mais les gens en ont assez de vivre de l’assistanat, ils veulent gagner leur vie... »

Autant de raisons qui poussent réfugiés afghans, tchétchènes, somaliens, irakiens et autres à quitter cette République ex-soviétique, qui n’a, du reste, jamais représenté pour la plupart, qu’un pays de transit vers l’Europe. Mais traverser la frontière slovaque, tels qu’ils le font le plus souvent, n’est pas aisé : depuis l’élargissement de ses membres en mai 2004, l’UE paie l’Ukraine, principal point d’entrée en Europe des migrants de toute l’Asie, pour qu’elle renforce leur frontière commune.

Des accords de réadmission conclus avec ses voisins européens prévoient, en outre, le renvoi sommaire des migrants en Ukraine. Ainsi, « on retrouve dans les personnes succeptibles d’être renvoyées, des demandeurs d’asile pour qui le niveau de protection n’a pas été évalué », témoigne Human Rights Watch dans son rapport d’enquête sur l’Ukraine (2) alors qu’« en théorie les accords de réadmission ne sont pas conçus pour interférer avec le droit d’asile ». Le HCR a demandé au gouvernement slovaque que des documents soient systématiquement présentés aux migrants afin qu’ils puissent signaler s’ils sont ou non candidats à l’asile. Mais il n’a jamais voulu respecter cette formalité, indique-t-on au bureau de l’organisation à Kiev. « Nombre de ces réfugiés terminent dans les camps de détention d’où ils entament une procédure d’asile », raconte Volodymir qui officie dans ces camps, avant d’ajouter qu’« une fois libérés, ils tentent de nouveau de traverser la frontière, certains sont arrêtés et après 2 ou 3 semaines, on les voit revenir en détention ».

Un autre accord de réadmission, applicable cette fois à tous les États membres de l’UE, doit être signé dans un moyen terme. Dans cet objectif, une étape supplémentaire a été franchie le 20 juillet 2006 à Bruxelles lors d’une 12e journée de négociation entre l’Ukraine et l’Union européenne : concrètement, si un migrant irrégulier est intercepté dans un des pays de l’Union, il sera renvoyé en Ukraine s’il est soupçonné d’y avoir transité. Or, si les réadmissions ne sont pas strictement réglementées par les gouvernements de l’Union, comme c’est le cas en Slovaquie, l’échelle du préjudice s’annonce bien plus grande pour les demandeurs d’asile.

Dans une communication du 1er septembre 2005, la Commission au Conseil affirme que l’Union européenne doit contribuer « à mettre en place un régime de protection équitable et à permettre l’accès à la protection et à des solutions durables pour les réfugiés au stade le plus précoce ». Ces stades correspondent aux pays de transit des migrants au sein desquels des programmes de protection régionaux (PPR) développeront les capacités d’accueil et de traitement de l’asile. Des projets pilotes en Ukraine, Biélorussie, Moldavie, débuteront dès cet automne 2006.

L’idée que l’UE injecte des fonds pour la protection internationale, séduit nombre d’organisations dont le HCR, qui en est un des bénéficiaires. Mais les sommes dérisoires (3) engagées face aux besoins colossaux de protection dans les régions de transit visées rendent perplexes. « Les PPR pourraient miner le droit de demander asile dans l’UE, s’inquiète Human Rights Watch, en accordant prématurément à un pays cible l’appellation de pays tiers sûr, pays qui accélérerait ensuite le renvoi des demandeurs d’asile, sans avoir pris en considération, au préalable, leurs besoins en matière de protection. »

Comment considérer, enfin, la démarche des PPR quand l’Union européenne ferme les yeux sur les multiples entorses commises en son sein ? Les expulsions collectives de l’île italienne de Lampedusa vers la Libye sans respect du droit des individus à demander l’asile en sont un exemple. Faut-il saluer une volonté d’amélioration effective de la protection internationale ou se préparer à l’avènement d’un instrument supplémentaire de contrôle des flux migratoires ?

Source : http://www.humanite.presse.fr

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