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Le journal d'Ukraine
24 juin 2006

médias

Louanges à louer en Ukraine

Les reportages de complaisance peuvent représenter 20 à 30 % d'un journal télévisé.

Un homme politique ou un grand patron souhaite-t-il un reportage complaisant ? Il lui en coûtera 5 500 euros pour deux minutes sur une grande chaîne de télé. S'il préfère une interview dans un journal de Kiev, ce ne sera plus que 3 100 euros. Mais s'il veut Komsomolskaïa Pravda, grand quotidien russe qui a une édition ukrainienne, il faudra compter quatre fois plus, le tirage faisant la différence. S'il se contente en revanche de la presse locale, il ne déboursera qu'entre 150 et 230 euros.

Pub déguisée. Un an et demi après la «révolution orange», la presse ukrainienne a gagné en liberté de ton, la censure a disparu et les journalistes trop insolents ne sont plus menacés. Mais elle est encore loin d'avoir atteint les standards occidentaux, notamment en raison de ces pratiques de publicité déguisée. Quasiment toutes les chaînes de télé ­ une dizaine importantes, dont trois d'audience nationale ­ sont touchées ainsi que la presse écrite, à de rares exceptions près. L'hebdomadaire Zerkalo Nedelyi, qui tire à 60 000 exemplaires, fait ainsi figure d'extraterrestre avec ses journalistes redoutés du pouvoir, et ses articles d'investigation dénonçant les scandales de tous bords.

La pratique de l'article commandé s'est généralisée sous le régime autoritaire et corrompu de Leonid Koutchma (1994-2004), notamment après la crise financière russe de 1998. L'Ukraine, une ex-république soviétique, est aussi ébranlée. Face aux chutes des recettes publicitaires, les nouveaux médias de l'après-communisme se tournent alors vers la publicité déguisée. «Aujourd'hui, deux chaînes de télé se partagent plus de la moitié de la publicité. Les autres doivent trouver des moyens de survivre», explique Tatiana Lebedeva, du comité de la radio et télévision du Parlement. Les sujets commandés, sur une chaîne pauvre, peuvent représenter 20 à 30 % d'un journal télé.

Budget «noir». La campagne pour les législatives de mars dernier a été une période faste. Jamais, depuis l'indépendance de l'Ukraine en 1991, les médias n'ont été aussi équilibrés, ouvrant leurs colonnes à tous les partis. Mais jamais peut-être l'argent n'a autant compté. Chaque parti (le président Viktor Iouchtchenko comme son rival prorusse Viktor Ianoukovitch ou son ancienne alliée Ioulia Timochenko) avait un budget «noir» pour acheter des articles. Parfois, les journalistes appelaient eux-mêmes pour proposer une prestation dans une émission. Jouant de la concurrence, certains se faisaient même payer pour rendre compte des conférences de presse des candidats. «Au-delà des problèmes économiques de la presse, il y a un manque de morale chez les journalistes, souligne Tatiana Lebedeva. Plus personne dans la profession ne se pose de questions. La frontière entre journalisme et relations publiques est, du coup, devenue ténue. C'est d'autant plus déplorable que certains journalistes ne sont pas mal payés et n'ont pas besoin de cela pour vivre. Ce sont d'ailleurs souvent les plus connus qui sont le plus sollicités.»

Circulaires. Officiellement, tout comme d'ailleurs leurs confrères russes ou des pays ex-soviétiques, les journalistes ukrainiens gagnent une misère. Pour échapper aux impôts, leurs employeurs déclarent en effet le salaire minimum, auquel s'ajoute une «enveloppe», l'essentiel du salaire remis, lui, de la main à la main. A Kiev, un journaliste peut toucher jusqu'à 1 200 euros par mois, tandis qu'en province il ne dépassera pas les 320 euros. D'où l'importance des publicités déguisées. A la télé, l'équipe se partage le paiement, avec le rédacteur en chef dans le cas d'émissions importantes. Dans la presse écrite, le journaliste encaisse souvent seul.

Viktoria Sumar, directrice de l'Institut des mass media (IMI), une ONG de défense des journalistes, affirme toutefois que le bilan est plus positif: il n'y a plus ces humiliantes circulaires que la présidence Koutchma envoyait chaque matin aux principaux médias et qui indiquaient quels sujets devaient être traités en priorité. Le journaliste est libre désormais d'écrire ou de dire ce qu'il veut. A la condition, toutefois, de ne pas mettre en péril les intérêts du propriétaire, souvent un homme d'affaires ou un «oligarque».

Source: http://www.liberation.fr

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